PFC Douzens

Le lieu d’enquête en Languedoc(-Roussillon) était un tout petit village audois de 600 habitants, Douzens (11), situé approximativement à mi-chemin entre Carcassonne et Narbonne. C’est donc une zone rurale, plus précisément viticole, qui était l’objet de notre enquête. Cette dernière a été organisée par une étudiante de l’Université de Toulouse-Le Mirail, Dominique Paloque (DP), et effectuée en collaboration avec Jacques Durand (JD). DP a sélectionné dix locuteurs au sein de son réseau familial et amical (voir Annexe 1). Les enregistrements ont été effectués chez les parents de DP. JD ne connaissait pas les témoins avant l’enquête mais a été présenté comme un professeur universitaire, responsable de la maîtrise de DP, et effectuant des recherches sur la prononciation du français dans le monde francophone. DP a organisé les entretiens libres alors que JD était responsable des entretiens guidés.

Nous avons obtenu à Douzens un bon équilibre hommes-femmes (5 femmes et 5 hommes) et une répartition très intéressante en ce qui concerne l’âge puisque nos locuteurs vont de 76 à 18 ans: à savoir, Loc1 (76 ans), Loc2 (75), Loc3 (75), Loc4 (67), Loc5 (52), Loc6 (48), Loc7 (48), Loc8 (23), Loc9 (21), Loc10 (18). On peut les regrouper en trois ensembles: les Seniors (Loc1, Loc2, Loc3, Loc4) tous nés bien avant la deuxième guerre mondiale; les Moyens (Loc5, Loc6, Loc7) nés entre 1949 et 1953, et finalement les Juniors (Loc8, Loc9, Loc10) qui sont nés entre 1978 et 1983. En ce qui concerne la représentativité sociale, nos témoins présentent une stratification sociale intéressante : on y trouvera une infirmière, une femme de ménage, un cantonnier, des étudiants, des viticulteurs à la retraite. Le niveau d’études des témoins est disparate. En ce qui concerne les Seniors, trois d’entre eux ont le Brevet élémentaire (passé vers quinze ans), diplôme qui peut paraître relativement bas mais doit être ajusté par rapport à l’époque. En tant que capital symbolique, un brevet élémentaire, au moins jusqu’au début des années quarante, est probablement supérieur au Baccalauréat actuel. Les Moyens (Loc 5 à 7) présentent un niveau de formation scolaire plus hétérogène. Les juniors sont tous étudiants comme un grand nombre de jeunes de leur génération mais, comme au moment de l’enquête leurs études sont en cours, il est difficile d’évaluer leur capital culturel. Enfin, tous les locuteurs sont nés à Douzens. Ils ont pratiquement vécu toute leur vie dans le village et ont pour la plupart des parents originaires du village ou de ses environs. Il y a deux locuteurs légèrement excentrés: Loc9 et Loc10, qui sont frère et soeur. Ils ont un père originaire du Gard, habitent une propriété viticole à 5km de Douzens et se déclarent un peu extérieurs au village. On serait tenté d’y voir la raison pour laquelle  Loc9 présente les caractéristiques les plus proches de la norme parisienne en ce qui concerne le schwa; mais encore faudrait-il expliquer pourquoi Loc10, sa sœur, a une phonologie tout à fait en phase avec les traits locaux. La “posture” sociolinguistique de ces deux locuteurs semble différente mais pour l’expliquer il faudrait rentrer dans des considérations qui dépassent les limites de notre enquête.

Une autre caractéristique intéressante de notre corpus est que les sujets les plus âgés comportent une bonne proportion de locuteurs de l’occitan (le plus souvent appelé “patois” par ces témoins). La connaissance de l’occitan va en décroissant des Seniors aux Juniors avec une compétence encore raisonnable chez les Moyens. Chez les Juniors, l’occitan n’est partiellement connu que de l’un des trois témoins. Le statut précis de l’occitan dans ce groupe exigerait une étude séparée. Divers travaux sociolinguistiques ont essayé de clarifier la relation entre le français et l’occitan en Languedoc et il est certain que les concepts mis en place par des linguistes comme Mazel (1980), Lafont (1984) ou Boyer (1988, 1990), pourraient se révéler utiles pour nos besoins. Nos locuteurs ont un français avec une forte composante lexicale tirée de l’occitan. Les jeunes enfants dans le village sont appelés [manjak] (féminin [manjag«]) de l’occitan manhac, manhaga (“mignon”, “mignonne”). Lorsqu’on gesticule à grands bras, on “brassèje” (oc. brassejar) ; si on remue fortement une  bouteille de vin, on la boulègue (oc. bolegar); si en buvant ce vin, on tombe malade, on pourra éventuellement guérir si on n’a pas peur d’avaler les “poutingues”  (oc. potinga) que nous prescrivent les médecins. Ces variantes lexicales sont bien décrites dans de nombreux ouvrages (par exemple, Camps 1991) et nous les laisserons de côté ici. Il est certain que, combinés à une phonologie méridionale, ils donnent une physionomie originale au parler de nos locuteurs.