Cette page présente les principales tendances concernant le comportement du e caduc en français de référence (c’est-à-dire dans la région parisienne).

Nous écartons d’emblée de la discussion les e orthographiques à l’intérieur de mot qui sont précédés (ex : jouera, paiera) ou suivis (ex : asseoir) d’une voyelle : dans ces cas, il s’agit en général d’un vestige de la graphie qui ne correspond à aucune réalité phonétique (nous renvoyons à la section sur e et l’orthographe).

Dans les transcriptions orthographiques, nous adoptons les conventions suivantes : les voyelles qui nous intéressent sont soulignées. Pour signaler qu’un e est effacé, nous l’indiquons entre parenthèses (ex : p(e)tit correspond à la prononciation [pti]) ; au contraire, pour signaler qu’un e est prononcé, nous l’indiquons à l’aide d’une police grasse (ex : petit correspond à la prononciation [pœti] ou [pøti]).

Timbre

D’un point de phonétique, la voyelle représentée par le e caduc est généralement prononcée comme une voyelle antérieure arrondie mi-fermée [ø] (ex : jeu) ou mi-ouverte [œ] (ex : peur). Historiquement, le e caduc a été une véritable voyelle neutre (notée [ə]) mais il s’est confondu avec l’une des voyelles antérieures arrondies (généralement [œ]). Si l’on continue aujourd’hui à utiliser le symbole [ə], c’est avant tout pour indiquer son comportement labile : comme nous l’avons souligné en introduction, cette voyelle peut (ou doit) s’effacer (ou se prononcer) en fonction du contexte dans lequel elle se trouve.

Règles

Malgré la complexité du phénomène, la plupart des cas de figures peuvent être appréhendés à travers deux règles relativement simples :

règle n°1 (règle du contexte droit) : si le e caduc est suivi d’une voyelle ou se trouve en fin de mot, il n’est pas prononcé (ex : bonne idée), sauf s’il est suivi d’un h aspiré (ex : le hibou), il est systématiquement réalisé.

règle n°2 (règle des trois consonnes) : si un e caduc est précédé d’au moins deux consonnes et suivi d’au moins une consonne (« trois consonnes »), il est normalement prononcé ; sinon, il n’est pas réalisé.

Nous insisterons sur le fait qu’il s’agit pour ces règles de consonnes et voyelles phonétiques et non graphiques. Notamment, les voyelles nasales, qui sont représentées par une voyelle suivie d’un n ou d’un m (ex : bon, bien, longtemps) sont considérées comme de simples voyelles phonétiques et non comme des suites voyelle + consonne.

Notons que l’appellation « règle des trois consonnes » est quelque peu impropre et connaît diverses formulations dans la littérature spécialisée. Cette formule ayant été consacrée par l’usage, nous l’adoptons ici en privilégiant la formulation qui nous semble la plus adéquate.

Illustrations

En fin de mot

Lorsqu’un e caduc de fin de mot est suivi d’une voyelle (phonétique), il n’est pas prononcé, conformément à la règle 1 :

  •  ma fill(e) a déménagé au mois de juillet [son]
  • gross(e) erreur [son]
  • les femmes travaill(e)nt et sont émancipées [son]

Lorsqu’il est suivi d’une consonne et précédé d’une seule consonne, il n’est pas prononcé, conformément à la règle 2 :

  • jaloux comm(e) des tigres [son]
  • un(e) personn(e) sur dix [son]
  • dix-huit cent soixant(e)-dix-sept [son]

De la même manière, le e n’est pas réalisé s’il est précédé de deux consonnes et suivi d’une voyelle, conformément à la règle 2 (moins de 3 consonnes au total) :

  • êtr(e) inconnue [son]
  • la montée du matérialism(e) aussi [son]
  • c’est une énorm(e) organisation [son]

Examinons maintenant des cas où le e est réalisé : lorsqu’il est précédé d’au moins deux consonnes à gauche et suivi d’au moins une consonne à droite, il est réalisé :

  • notre liberté (2 consonnes à gauche, 1 consonne à droite) [son]
  • analyste financier (2 consonnes à gauche, 1 consonne à droite) [son]
  • quelques précisions (2 consonnes à gauche, 2 consonnes à droite) [son]
  • ça enregistre là ?  (3 consonnes à gauche, 1 consonne à droite) [son]

cas particulier : à l’oral, il est fréquent qu’un [œ] soit inséré en fin de mot en vertu de la règle des trois consonnes, et ce même s’il n’y a pas de e graphique final. Observons les exemples suivants :

  • Marc e Blanc [son]
  • Ouest e Liberté [son]
  • match de foot [son]
  • le contact e des enfants [son]

On voit ici que les mots Marc, Ouest, match et contact se terminent par deux consonnes et sont suivis d’au moins une consonne : dans ce contexte, un e est inséré pour éviter des suites de consonnes qui posent difficulté pour beaucoup de francophones (respectivement [rkbl], [stl], [tʃd], [ktd]). Ce phénomène d’insertion d’une voyelle qui n’a pas de corrélat graphique (ou plus exactement phonologique) est appelé épenthèse.

Au milieu d’un mot

En position interne de mot, la réalisation du e est fondamentalement régie par la règle des trois consonnes (rappelons que les e graphiques précédés ou suivis d’une voyelle, comme dans jouera, ne sont jamais prononcés).

Examinons d’abord des cas où, en général, il n’est pas prononcé, lorsqu’il est précédé d’une seule consonne et suivi d’une consonne :

En revanche, lorsqu’il est précédé de 2 consonnes et suivi d’une consonne, le e est généralement réalisé :

  • le gouvernement [son]
  • directement [son]
  • les seuls rassemblements que je vais [son]
  • justement [son]

Dans la première syllabe d’un mot polysyllabique

Là encore, dans la majorité des cas, la règle des 3 consonnes détermine la réalisation du e caduc. Notons que puisqu’un e caduc est toujours suivi d’une consonne lorsqu’il se trouve en première syllabe de mot polysyllabique, c’est essentiellement le nombre de consonnes à sa gauche qui détermine sa réalisation.

Lorsque le e est précédé d’une seule consonne, il n’est en général pas prononcé :

  • à la r(e)traite [son]
  • Puis après elle est v(e)nue [son]
  • essayer de les r(e)trouver [son]
  • j’ai des p(e)tites notions [son]

Lorsqu’il est précédé de deux consonnes, le e caduc est généralement réalisé. Comme les exemples qui suivent le montrent, on compte les consonnes phonétiques à gauche du e, qu’elles appartiennent au mot qui contient le e ou au mot précédent.

  • ell(e) devait [son]
  • treiz(e) petits-enfants [son]
  • cett(e) semaine [son]
  • mon père est breton [son]
  • la première année [son]

Monosyllabes et suites de e caducs

De manière générale, les monosyllabes (je, te, me, ne, se, que, le) et suites de e caducs se conforment également aux règles que nous avons formulées. La règle 1 est d’ailleurs consacrée par l’orthographe standard pour les monosyllabes, puisque le e s’élide et est remplacé par une apostrophe (cf. le chat vs l’animal).

  • beaucoup d(e) musique [son]
  • prénoms d(e) famille [son]
  • dans l(e) jardin [son]

Lorsqu’il est précédé de deux consonnes, à l’instar des syllabes initiales de polysyllabe, le e est réalisé :

  • repartir le matin [son]
  • les meufs de l’autre [son]
  • si le mec ne fait rien [son]

Analysons maintenant l’exemple suivant, en suivant l’ordre linéaire de prononciation et de lecture (de gauche à droite) :

  • un bureau d(e) représentation [son]

Le e de de est suivi d’une seule consonne (le [d]) et est par conséquent effacé. Le e de représentation est quant à lui réalisé puisqu’il est précédé de deux consonnes : le [r] de représentation et le [d] de de. Examinons un exemple plus complexe encore :

  • Il préfère(e) se l(e)ver [son]

 Le e de préfère n’est pas prononcé puisqu’il est précédé d’une seule consonne ; le e de se est prononcé puisqu’il est précédé de deux consonnes (le [r] final de préfère et le [s] initial de se) et suivi d’une consonne ([l]) ; enfin, le e de lever n’est pas prononcé puisqu’il est précédé d’une seule consonne, à savoir [l].

A titre d’anecdote, on signalera qu’une phrase peut contenir jusqu’à 6 e caducs consécutifs (!), comme dans l’exemple suivant (quelque peu artificiel mais tout à fait possible) :

  • Je ne te le redemanderai pas une deuxième fois.

Les règles que nous avons développées ne servent qu’à illustrer les grandes tendances dans le comportement du e caduc. Elles sont destinées à fournir des repères accessibles aux apprenants mais ne doivent pas être prises pour des lois intangibles. Même en français de référence, il existe une grande variation et de nombreux autres facteurs (débit, structure syllabique, style, etc.) sont à prendre en compte pour rendre compte des usages des locuteurs natifs.

 

Pour aller plus loin :

Groupes consonantiques

Au-delà du seul nombre de consonnes, la nature des consonnes elles-mêmes et la structure prosodique de l’énoncé jouent un rôle non négligeable dans l’effacement (ou le maintien) du e caduc.

Après un groupe consonantique constitué d’une consonne obstruante ([p, b, t, d, k, g, f, v]) suivi d’une liquide ([l, r]), le e caduc se maintient presque systématiquement si les deux consonnes sont prononcées (ex : arbre pourri). En revanche, si le groupe est constitué d’une liquide suivie d’une obstruante ([p, b, t, d, k, g, f, v, s, z, ʃ, ʒ]), il est bien plus fréquent (surtout si le débit est rapide) que le e ne soit pas prononcé (ex : une barqu(e) pourrie).

Afin d’éviter les suites de consonnes complexes, il est fréquent qu’au lieu de réaliser un e caduc, on efface une consonne (ex : arbre pourri prononcé arb’ pourri [arbpuri]). Ce phénomène est très fréquent avec les groupes obstruante + liquide (ex : sable) et est assez fréquent avec les groupes obstruante + obstruante (ex : tact), selon les variétés. L’effacement des consonnes est considéré comme une trait marqué du français parlé.

Le e prépausal

Le français oral est caractérisé par un phénomène que l’on rencontre assez fréquemment, notamment chez les jeunes : il s’agit de l’insertion d’un e, indépendamment de la graphie, en fin de groupe rythmique (ou devant pause, d’où l’appellation e prépausal). L’exemple canonique est l’expression Bonjour ! prononcée [bõʒurə]. En voici quelques exemples dans le français de la région parisienne :

  • le portrait d’un criminel [ə] // [son]
  • un, un concours [ə] // [son]
  • magistrate, au départ [ə] // [son]

Prosodie

La structure prosodique d’un mot ou d’un énoncé influe également sur la réalisation du e. Ainsi, beaucoup de locuteurs réalisent un e plus volontiers dans les exemples (1) que dans les exemples (2) ci-dessous :

  1. département
  2. départ(e)mental
  1. porte-feuille
  2. port(e)-manteau 

Cela vient du fait que plus le e caduc est éloigné de l’accent principal (qui, rappelons-le, tombe sur la dernière syllabe prononcée), plus il est facile de ne pas le réaliser. Dans les exemples en (1), le e caduc précède directement l’accent et tend de ce fait à être maintenu.

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